Série « Extraction des saveurs » : Chris Garden et la distillation du gin

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Pour le deuxième épisode de notre série consacrée à l’extraction des saveurs, nous avons demandé à Chris Garden, distillateur en chef et co-fondateur de la Hepple Spirits Company, de nous expliquer l’impact de la méthode de distillation sur les saveurs finales du gin.

La distillation se pratique depuis plusieurs millénaires. Elle a traversé les continents, depuis son apparition en Asie de l’Ouest vers 1200 avant J.-C. (où elle était considérée comme un art obscur proche de la magie), tandis que le brassage et la vinification – qui relèvent de procédés chimiques hautement complexes – étaient perçus comme plutôt simples et faciles à comprendre.

Qu’est-ce que la distillation ?

La distillation désigne le processus qui consiste à séparer les composants d’une mixture – qu’il s’agisse de séparer l’éthanol de l’eau, ou le diesel du pétrole brut, les principes sont les mêmes. Les liquides présentent différents points d’ébullition, et c’est cette différence de température d’ébullition qui permet la distillation.

Sous pression atmosphérique, l’éthanol passe de l’état liquide à celui de vapeur juste au-dessus de 78°C, contre 100°C pour l’eau. En conséquence, si on chauffe un mélange d’éthanol et d’eau à 78°C, l’éthanol se transforme en vapeur et quitte le mélange, laissant l’eau derrière lui. Cette vapeur traverse ensuite un condenseur, où elle retrouve son état liquide, avant d’être collectée.

Pourquoi distille-t-on ?

La distillation est utilisée pour différents objectifs, dans des domaines divers et variés. Par exemple, l’industrie pétrochimique recourt à la distillation car le pétrole brut ne peut être utilisé comme carburant pour un véhicule : on le distille donc afin d’en extraire le diesel qui servira à alimenter les voitures.

Au cours de la fabrication de gin, la distillation permet de concentrer et de lier les saveurs sélectionnées à l’alcool ; pour la production de whisky, la distillation sert à concentrer l’alcool.

Le gin se distille traditionnellement dans un alambic en cuivre. Pourquoi le cuivre ? D’une part car c’est un métal malléable et relativement bon marché, facile à travailler. D’autre part car le cuivre interagit avec l’éthanol et élimine les composés sulfurés indésirables de l’alcool, à l’origine de la sensation de brûlure à l’ingestion. (Une des conditions préalables pour qu’un alcool puisse porter l’appellation de gin distillé étant que celui-ci ait été produit exclusivement par distillation d’un alcool éthylique de qualité organoleptique et d’origine agricole titrant, au départ, au moins 96 % vol.)

La production d’alcool d’une qualité correcte requiert d’importants investissements, difficilement réalisables à petite échelle. C’est pour cette raison que très peu de distilleries de gin produisent leur propre alcool neutre de céréales, préférant l’acheter à un plus gros producteur. Comme son nom l’indique, il s’agit d’éthanol au goût neutre, qui n’apporte donc au gin que l’alcool. Autrement dit, c’est la toile blanche en attente de l’œuvre, les extraits de plantes faisant ici office de peinture.

Quel est le rôle de la distillation dans la production de gin ?

Chris Garden

Donc, on verse l’alcool de céréales neutre dans l’alambic en cuivre, puis on y ajoute de l’eau afin de réduire le volume d’alcool à 50-70 % (sans eau, il n’y aurait rien à séparer de l’alcool). Les extraits de plante sont ensuite ajoutés à la mixture – la quantité et la variété de ces extraits étant à la discrétion du distillateur. Tout le secret d’un gin au goût agréable et bien équilibré, avec des saveurs vives, réside donc dans la recette.

Selon les extraits de plantes choisis, il s’agit de jouer avec les quantités pour obtenir l’effet souhaité sur le gin final. Par exemple, vous aurez besoin de bien plus de genièvre que de cardamone ou d’anis étoilé. Ces détails (comme la recette) se découvrent au fil des expériences, des essais et des erreurs. Une fois la recette établie et la production de gin prête à débuter, les extraits de plante sont ajoutés au mélange éthanol/eau et laissés à macérer ; ici aussi la durée de macération dépend du distillateur, mais elle est généralement comprise entre 10 et 24 h.

Au cours de la macération, les saveurs des plantes se diffusent dans le mélange alcoolisé et, de parfaitement translucide, le liquide devient sombre et trouble, avec un éclat huileux. On chauffe ensuite la mixture jusqu’à atteindre 78°C pour permettre à l’éthanol – chargé des arômes de plantes – de quitter la mixture et de poursuivre son voyage jusqu’au condenseur, voyage pendant lequel son interaction avec le cuivre absorbe et élimine les substances sulfurées qu’il contient.

Une fois la vapeur en contact avec le condenseur, elle redevient liquide et coule dans une cuve. Comme le premier liquide récupéré contient des saveurs astringentes qui n’ont rien à faire dans le produit fini, on goûte le distillat au fur et à mesure jusqu’à constater la disparition de cette astringence et l’apparition de saveurs d’agrumes et de résineux. On procède alors au changement de la cuve afin de collecter le nouveau liquide de façon séparée.

Pendant plusieurs heures, les saveurs des plantes se succèdent. Le liquide doit toutefois faire l’objet de dégustations régulières car il arrive un moment où les arômes les plus vibrants auront été récoltés et laisseront place à des notes de végétaux mijotés, indésirables dans le produit final. On procède alors à un second changement de cuve. (Les trois cuves forment la tête, le cœur et la queue – la tête et la queue n’ont pas vocation à être utilisées et sont ensuite affectées à un autre usage ou détruites.) Pour terminer, la partie de cœur est mélangée à de l’eau afin d’être diluée jusqu’à atteindre le degré d’alcool optimal – encore une fois, le distillateur décide du titrage qui mettra le mieux en valeur sa création.

Les procédés de fabrication de London Dry gin n’ont pas été modifiés depuis plusieurs siècles, et cette méthode ancestrale de concentration et de pénétration des saveurs n’a pas subi de modification.

Chris Garden